Aloïs, c'est qui ?


Aloïs réfère à cette expérience enrichissante d'un accompagnement de l'être cher frappé par la soi-disant maladie accolée à un nom célèbre.
À la faveur du vieillissement cérébral problématique, avec une culture des sentiments, bécothérapie et musicothérapie, l'on vit une expérience humaine inouïe.
Aloïs est ainsi le jumeau infernal de l'enfant joufflu, messager d'un infini amour insoupçonné...

Aux sources du mythe (3)


L'histoire vraie de la soi-disant maladie d'Alzheimer
La naissance du mythe
Nous avons déjà vu dans quelles circonstances la maladie d'Alzheimer est officiellement née. Nous allons voir maintenant dans quelles circonstances elle va devenir le mythe que nous dénonçons dans ce blog avec d'autres, dont surtout le professeur Whitehouse.
Rappelons, tout d'abord, que les circonstances telles que décrites de la naissance saugrenue de cette prétendue maladie confirment ce que disait le philosophe Thomas Kuhn dans The Structure of Scientific Revolutions sur le fait que les nouvelles théories scientifiques émergent souvent en raison de facteurs extrinsèques à la science.
Ainsi, il soutient à bon droit que "les transformations ne se produisent pas en dépit du fait que les scientifiques sont humains, mais parce qu'ils le sont". Et il va jusqu'à qualifier les manuels médicaux de "véhicules pédagogiques destinés à la perpétuation des théories scientifiques en vigueur". Ce qui est parfaitement exact dans le cas de la soi-disant maladie qui nous occupe.
Pour revenir à celle-ci, disons qu'au départ, soit plusieurs décennies après la publication du Manuel de psychiatrie de Kraepelin, son acte de naissance, on sembla ignorer une telle maladie dont le diagnostic demeurait obscur. On continuait à attribuer ses symptômes à la vieillesse et la communauté médicale ne reprenait pas l'étiquette de la maladie aux personnes âgées de soixante ans et plus.
Aussi, l'expression inventée par Kraepelin était-elle peu usitée sans toutefois disparaître du discours médical. C'est que l'attention se portait moins à la compréhension des mécanismes biologiques du vieillissement cérébral que plutôt au développement de méthodes biopsychosociales de nature à mieux aider les personnes vieillissant mal et leurs familles à faire face aux problèmes posés par le déclin cognitif prématuré.
On peut relever dans le cadre de ce combat pionnier, le psychiatre David Rothschild qui a dénoncé la "neuropathologisation" du vieillissement pointant ses effets néfastes sur la société. Ainsi, selon lui, une préoccupation trop exclusive concernant la pathologie cérébrale a entraîné une tendance à oublier que les changements se produisent chez des personnes vivantes, ayant un fonctionnement mental". Aussi, une appellation aussi réductionniste que celle de la maladie d'Alzheimer ne peut qu'aggraver la situation des personnes atteintes de troubles cognitifs.
Quant à la méthode biopsychosociale à laquelle il appelle, elle normalise le vieillissement cérébral, le considérant comme faisant intrinsèquement partie de la condition humaine. Aussi doit-on relativiser le substrat pathologique du vieillissement et ne plus se focaliser sur des processus tissulaires impersonnels, mais porter l'attention sur les influences plus personnelles en éléments bio-psycho-sociaux dans une prise en charge globale où chaque cas exige un examen individualisé et minutieux.

C'est donc vers cette prise ne charge à la fois préventive et globale qu'on se destinait quand tout bascula au milieu du siècle dernier, ressortant la maladie d'Alzheimer de son relatif anonymat alors qu'elle était appelée à rester rate et insignifiante.
Dans ce cadre, c'est d'abord l'augmentation de l'espérance de vie moyenne des personnes dans les pays industrialisés qui constitue le premier fait pertinent ayant amené la résurgence de la maladie d'Alzheimer. Cela a été facilité aussi par un second fait concomitant qui était celui ce progrès technologique dans tous les domaines ayant permis d'améliorer les procédures chirurgicales s'ajoutant aux améliorations en matière sanitaire et alimentaire. 
Aussi, comme d'un côté la population vivait plus longtemps et que de l'autre les avancées technologiques notamment dans la recherche en neuropathologie et en biochimie, on a commencé à anticiper, espérer et même exiger de vivre plus longtemps et en pleine possession de tous ses moyens.
Le développement des explorations en microscopie électronique (permettant notamment d'identifier les plaques séniles dans le cerveau et les dégénérescences neurofibrillaires), des dispositifs d'imagerie neurologique (autorisant de scruter l'intérieur même du cerveau) et des procédures sophistiquées de laboratoires (capables de mesurer les taux de neurotransmetteurs dans le cerveau, par exemple) a mis l'accent sur la capacité de la science de mieux étudier la biologie de la démence. Et cela autorisa le retour à une approche plus biomédicale de la maladie d'Alzheimer.
C'est donc cette alchimie entre une société vieillissante et un outil technologique performant qui a donné l'illusion de repousser la vieillesse tout en l'allégeant de ses caractéristiques les plus lourdes à supporter. Et l'intérêt pour la recherche en neurologie et en gérontologie s'éveilla d'un coup et ce ne fut pas uniquement désintéressé !
On assista donc à une action insistante de la part des chercheurs en neurosciences pour extraire des catégories discrètes du concept général de "démence sénile" une maladie d'Alzheimer toute faite même si cela s'est fait sur la base d'une hypothétique cause biologique. Et ils réussirent en jouant de ce voeu séduisant consistant à croire et/ou faire croire que les souffrances du vieillissement cérébral pourraient être soulagées. Cela ne pouvait que séduire le côté humanitaire de tout le monde, surtout les soignants. 
Toutefois, ce mouvement vers l'arrière, au nom de l'investissement dans la technologie, ramenant la maladie d'Alzheimer à une catégorie indépendante  amena à délaisser la méthode prometteuse bio-psycho-sociale. Et cela ne se faisait pas sans une intention peu  avouée et qui était la promesse qu'emportait pareille démarche en apports de nouveaux fonds de recherche ainsi que de gloire potentielle.
Aussi, c'est au début des années soixante-dix que les chercheurs en neurosciences prenant le prétexte du vieillissement de la population américaine plaidèrent la cause de la recherche de fonds pour des travaux de laboratoire spécifiques. Et pour que leurs recherches soient prises au sérieux, ils firent de la maladie d'Alzheimer une maladie du siècle.
Il s'en suivit un battage médiatique faisant de cette soi-disant maladie une cause nationale aux États-Unis puis une institution nationale avant de devenir une cause mondiale. Pour cela, rien n'était épargné, surtout la peur, ressort qui a toujours marché.
Ainsi, écoutons ce qu'en a dit le docteur Robert Butler, directeur du National Institute on Aging (NIA) créé en 1974 à la faveur de ce battage médiatique : "J'ai décidé que nous devions en faire (la maladie d'Alzheimer) un nom connu de tous. Et la raison en est que c'est ainsi que le problème sera identifié comme une priorité nationale. C'est ce que j'appelle la politique sanitaire de l'angoisse".
Ainsi est né le mythe d'un empire appelé Alzheimer, ce monstre qui continue à faire peur et qui s'étend à la faveur de pareille peur.
Il est temps que l'on arrête d'angoisser et d'accepter que les troubles cognitifs accompagnant notre vieillissement sont un effet inévitable de ce dernier dépendant de plusieurs facteurs, pas seulement biologiques, mais aussi psychologiques, sociaux et plus largement de l'hygiène de vie de chacun.  

Nota :
Toutes les citations de cet article et des deux précédents sont extraites du livre du professeur Peter Whitehouse (coécrit avec Daniel George) dont ils se sont inspirés : Le mythe de la maladie d'Alzheimer. Ce qu'on ne vous dit pas sur ce diagnostic tant redouté. Paris, Solal, 2009.